Voici venu le temps du froid et des jours courts. Autrefois, c’était aussi le temps des veillées. Elles commençaient les premiers jours de novembre et duraient, selon les lieux, jusqu’à carnaval ou Notre-Dame de Mars, c’est-à-dire l’Annonciation (25 mars).
Des veillées aux règles bien définies
Les veillées étaient non seulement très anciennes, mais aussi communes à toute la France, celle du nord comme celle du sud. Noël du Fail, un auteur français, écrivait déjà au XVIe siècle : « C’est une vieille coutume en ce pays, de se retrouver chez quelqu’un du village au soir, pour tromper les longueurs des nuits, et principalement l’hiver. » Elles étaient codifiées, comme à peu près tout dans le monde de nos aïeux, et nul n’aurait pensé y déroger. Pour débuter, le village décidait d’un commun accord qui accueillerait la première, qui se tenait entre la Toussaint (1er novembre) et la Saint-Martin (11 novembre). Ensuite, chaque maison accueillait à tour de rôle les habitants qui s’y chauffaient jusqu’à neuf ou dix heures du soir. Pas plus tard. S’y chauffer est un bien grand mot car la cheminée bien qu’énorme tirait mal. D’ailleurs c’est pour cela qu’elle était aussi imposante. La coutume définissait également la place de chacun des villageois assis en demi-cercle devant l’âtre. Les vieillards étaient les plus près du feu. Derrière eux se trouvaient les enfants. Et enfin les adultes en étaient les plus éloignés. Mais dans beaucoup de fermes, les veillées avaient lieu à l’étable, là où la chaleur était apportée par les animaux. Ainsi elle ne coûtait au propriétaire de la maison du soir que le prix de la lumière, c’est-à-dire de la chandelle fabriquée en trempant une mèche de coton dans de la résine de pin. Chacun se mettait alors à l’ouvrage car presque tous les instants de la vie éveillée étaient occupés par le travail. Les femmes filaient avec leur quenouille, teillaient le chanvre, c’est-à-dire en enlevaient la tille, l’écorce du brin de chanvre. Les hommes tressaient ou réparaient des paniers. Souvent aussi on cassait les noix avec des maillets pour les monder et faire de l’huile, on écossait les haricots,…
L’almanach, indissociable des veillées
Tout en travaillant, si quelqu’un dans l’assemblée savait lire, il prononçait un texte pour les autres. On dévorait les soirs de veillées de petits livres drôles comme « La consolation des cocus », mais surtout l’almanach né au XVe siècle. Il était acheté au colporteur de passage avec d’autres petits livrets couverts de papier bleu, ceux de la Bibliothèque bleue. Quand l’analphabétisme était très répandu, ce livre était presque entièrement constitué d’images. Puis, il s’est peu à peu enrichi de textes. Il renseignait par exemple ceux qui nous ont précédés sur les lunaisons et les dates des foires si importantes pour eux. On y trouvait aussi des conseils agronomiques, des prédictions et des récits merveilleux et parfois curieux. On pouvait par exemple y trouver l’histoire d’une habitante de Blois qui avait dans les yeux un cadran solaire où l’on pouvait lire les heures… Des pages étaient également consacrées aux rétrospectives comme le fait de nos jours le calendrier de la Poste aussi appelé almanach du facteur. Alors si vous trouvez au hasard d’une brocante ou d’un vide-greniers des almanachs du XVIIIe siècle intitulés « Le grand compost des bergers », puis « Le messager boiteux », « Le bavard », « Le postillon de la paix », pour devenir à la fin XIXe siècle « La nouvelle lanterne magique », plongez dedans et découvrez les centres d’intérêts de vos aïeux les soirs de veillées.
Histoires de veillées
Dès que la veillée commençait, le silence était absent. Entre deux lectures de l’almanach, on se racontait des histoires alors qu’il faisait si noir dehors. Il se trouvait fréquemment parmi l’assemblée un vieux soldat prêt à conter la Berezina (1812, campagne de Russie), la conquête de l’Algérie (1830-1845) ou celle de Tonkin (1884, nord du Viêtnam actuel) avec une description des baguettes pour manger le riz qui fascinait et égayait l’auditoire. Sinon, les hommes racontaient tout simplement leur service militaire, le seul grand voyage de leur vie en dehors du canton.
On parlait aussi des défunts et des légendes, dont les récits étaient merveilleux lorsqu’il s’agissait de fées et autres esprits surnaturels bienveillants, mais aussi terrifiants lorsqu’on évoquait les fantômes, les brigands et les bêtes sauvages parmi lesquelles les loups avaient une place de choix. Tandis que l’un racontait, les autres écoutaient religieusement en croquant des pommes, des noix ou des châtaignes grillées avant de se remettre à l’ouvrage. Et si le récit effrayait trop les enfants, une grand-mère était toujours présente pour chanter une comptine ou jouer aux devinettes.
Des jeux non dénués de sous-entendus
Les veillées étaient aussi un moyen pour la jeunesse de « draguer », au vu et au su du village. Colin-maillard est un jeu connu pour être non dénué de sous-entendus. Tout comme les danses si quelqu’un savait jouer de la vielle. A ce sujet, l’auteur Noël du Fail a écrit : « En telles assemblées, beaucoup d’honnêtes familiarités sont permises. […] Les filles, leurs quenouilles sur la hanche filaient : les unes assisses en lieu plus élevé, sur une huche ou une maie, afin de faire plus ostensiblement pirouetter leurs fuseaux, non sans espérer qu’il tombe : car en ce cas, il y a confiscation rachetable d’un baiser. » Certaines se montraient donc d’après cet auteur ostensiblement maladroites et les garçons passaient leur soirée à attendre cela. Noël du Fail a poursuivi : « Les autres, moins ambitieuses, étant en un coin du feu regardaient par-dessus les épaules […]. Si par fortune le gros Jean, Robin ou autre montraient le haut de leurs chausses à découvert, ce n’étaient pas les dernières à rire à gorge déployée avec la main entrouverte devant leurs yeux. » Mais attention, car tout cela était contrôlé dit l’auteur « par un tas de vieilles ».