Il n’y a pas de sabot sous le lit qui ne trouve son pareil
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Une déclaration d’amour en Auvergne dans les années 1910
(Carte postale ancienne – collection personnelle)
Faire sa cour
Alors comment concilier ces deux mondes, féminin et masculin, qui sont si étrangers ? On parle peu. Surtout du côté des hommes. Réunis à la forge, ils s’expriment d’avantage par hochements de tête et onomatopées que par de longs discours. Alors le jeune homme qui veut courtiser une fille le moment venu ne connaît aucun mot. De plus, la violence est omniprésente dans le monde de nos ancêtres. Dans ces conditions, le flirt procède davantage d’un combat
de lutte que de la tendresse. Pour faire comprendre à une jeune fille ses sentiments, notre paysan va agir d’une manière qu’on jugerait aujourd’hui fort grossière et surtout sans aucune chance de réussite. Il va par exemple pincer le bras de la fille, à moins qu’il ne le lui torde, qu’il lui lance des petits cailloux, ou lui arrache son peigne de cheveux. Mais la jeune fille de l’époque, elle, comprend le message… et y répond sur le même registre.
Une demande en mariage très codifiée
Maintenant tout devient ultra codifié. Ici, impossible de se passer du mandronaire, l’entremetteur, recruté traditionnellement parmi les bergers ou les vendeurs de tissus. Il arrive avec un bâton écorcé, blanc, et un rameau de genêt à son chapeau ou son vêtement chez les parents de la jeune fille. Ils comprennent immédiatement le but de la visite. Selon qu’ils acceptent ou non l’union, leur comportement sera différent : l’homme sera ou non invité à s’asseoir, la mère roulera ou déroulera son tablier, ôtera un objet de la table ou en posera un, à l’endroit ou à l’envers, éteindra le feu ou ira le tisonner, offrira un repas maigre (omelette) ou un repas gras (viande). Au final, les mots mariage ou fiançailles ne seront jamais prononcés. Ainsi une demande en mariage n’est jamais officiellement refusée puisqu’elle n’est jamais officiellement faite. Quoi qu’il arrive, l’honneur est sauf. Si l’accueil a été favorable, la visite se termine en choquant les verres.
Se marier ni trop près ni trop loin, toute une stratégie
Un projet de mariage dans le Cantal (carte postale ancienne)
Quel que soit le milieu social, toute la stratégie de nos aïeux, car les unions sont rarement spontanées et on ne veut surtout pas qu’elles le soient, consiste à faire des mariages bien appareillés. Les vieillards y consacrent toute leur science. On dit que les vieux font « l’amour pour les jeunes ».
« Si tu le peux marie-toi dans ton village, et si tu le peux, dans ta rue, et si tu le peux dans ta maison ». Non seulement il faut se marier dans sa paroisse, mais aussi dans le même milieu social : une fille d’artisan épouse un fils d’artisan, un paysan épouse une fille de paysan. Mieux, on n’hésite pas à chercher une épouse au sein du cercle familial, mais toujours en évitant soigneusement les mariages consanguins. Il s’agit donc d’une équation complexe organisée par les plus âgés. Lors des mariages par exemple, moment idéal pour former de nouveaux couples, les cavaliers et les cavalières ne sont pas choisis au hasard. Le cavalier sait que cette cavalière est épousable, c’est-à-dire que non seulement elle n’est pas interdite par l’Église, mais encore qu’elle lui est recommandée par la communauté. Les stratégies consistant à unir les frères du marié avec les sœurs de la mariée ou les cousins de l’un avec les cousines de l’autre sont souvent privilégiées. Les jeunes, eux, ignorent le projet tramé ou plutôt font mine de l’ignorer afin de donner à la communauté, et sans doute à eux-mêmes, l’apparence que le choix est le leur.
L’incontournable dot
Les plus âgés ne font pas qu’élaborer les unions. Ils ont aussi le rôle de mémoriser les dots. La « rotation des dots » est une pratique du Gévaudan (actuelle Lozère) qui essaimera ailleurs. Cette coutume veut qu’il y a toujours récupération de l’argent ou des biens donnés. Ainsi par exemple une famille A va verser une dot à la famille B, qui va ensuite marier une de ses filles à la famille A qui va à cette occasion la récupérer.
Ces habitudes n’ont pas qu’une raison bassement matériel mais aussi pratique. A une époque où les familles cohabitent sous un même toit mieux vaut faire en sorte que les différentes épouses s’entendent. Effectuer des mariages successifs entre deux mêmes familles le permet. Alors on fera tout pour que le deuxième fils choisissent la sœur de la femme qu’a épousée son aîné.
Jour de mariage
La cérémonie se déroule à l’église après un éventuel contrat, beaucoup plus répandu qu’aujourd’hui, passé devant un notaire. Jusqu’en 1793 c’est cette cérémonie seule qui fait le mariage, mais même après, l’union à la mairie reste longtemps considérée comme secondaire.
Le jour du mariage n’est pas pris au hasard. Contrairement à aujourd’hui on ne se marie surtout pas en été, saison entièrement consacrée aux gros travaux. Et encore moins en périodes d’interdits religieux : le Carême, l’Avent et plus tard en mai, devenu le mois de Marie. « Mariages de mai ne fleurissent jamais. » Les meilleurs mois sont janvier et février, entre les Rois et le Carême ; et novembre, entre les dernières labours et l’Avent.
Repas de noces auvergnates
(carte postale ancienne)
On ne se marie pas n’importe quel jour non plus. On élimine les jours de jeûne et d’abstinence qu’il aurait été inconcevable de contourner. Le vendredi est donc exclu en tant que jour du souvenir du vendredi saint. De même pour le jeudi réputé « jour des mariages de cocus ». Le dimanche impossible ! Jour consacré au seigneur. Nos aïeux choisissent donc souvent le mardi suivi de deux jours de fête.
L’heure quant à elle importe peu sauf pour les unions un peu « hors normes » pour l’époque qui ont souvent lieu de nuit pour éviter le charivari, rituel cruel qui consistait pour les gens du village à faire le plus de bruit possible pour signifier le désaccord de la communauté avec cette union. Dernière surprise, la mariée n’est pas en blanc. Le blanc ne s’est imposé qu’après les apparitions de Lourdes et le culte de l’Immaculée Conception, non pas de l’enfant Jésus comme on le pense souvent, mais de la Vierge Marie. Avant, on porte une robe unie dont la couleur varie selon les moyens : rouge, jaune, le plus souvent bleue ou noire dans les milieux les plus modestes.
L’impossible célibataire et l’invraisemblable divorcé
Le célibataire dérange car non seulement il ne donne pas d’enfants, mais en plus il crée un déséquilibre. Hormis les cas des enfants handicapés, physiques ou mentaux, des enrôlés de l’armée et des religieux, les célibataires sont donc inconnus. Les rares qui existent sont des marginaux qui viennent d’ailleurs et ne peuvent donc absolument pas se lier à des familles autochtones. Même s’ils ont un travail, une maison, ou de l’argent.
Les divorcés eux n’existent pas. D’abord parce que l’Église puis la loi ne le permettent pas. Il ne sera possible de divorcer qu’avec la loi Naquet de 1884, après une courte parenthèse de 1792 à 1816. Mais les rares qui s’y risquent sont mal vus par la communauté, voire exclus. C’est pourquoi il est pendant longtemps quasiment inexistant dans nos campagnes.
Il n’est de même pas concevable de rester veuf ou veuve. L’homme doit forcément avoir une femme pour tenir son ménage. Les remariages, voire les deuxième, troisième noces sont donc rapides. Cas extrêmes : on peut voir des hommes avoir cinq épouses dans les registres d’État Civil. Mais pas en même temps !
Sandra Chaume
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